Saint-Barth a cette particularité de réunir des personnalités exceptionnelles, des pépites insoupçonnées. Marie-Claude en fait partie. C’est au bout de l’Anse des Cayes, dans son écrin de verdure face à la mer, que Marie-Claude se ressource et me reçoit. La décrire est un chantier ambitieux. Ecrire sur une journaliste expérimentée est encore plus audacieux… mais je me lance, à l’écoute de mes ressentis. Je suis tout de suite séduite par son énergie, sa détermination, son goût de l’aventure, son cran et son audace. Au fil de notre échange, je me rends compte des nombreuses qualités structurantes qui lui ont permis de tracer ce chemin, son chemin hors du commun.
Audacieuse, elle aime à se confronter aux situations les plus extrêmes.
Aventurière, elle a une soif inépuisable de découvrir le monde.
Attentive, elle enregistre les détails qui font la différence, et sait les retranscrire dans ses écrits. Son œil est une caméra.
Courageuse, elle sait faire face au danger avec une sérénité absolue.
Défricheuse, elle aime et sait trouver l’inédit.
Déterminée, elle va au bout de ses projets.
Éclectique, elle aime côtoyer la diversité.
Humaine, elle sait voir le beau dans les situations les plus terribles.
Humble, elle ne parle pas de ses succès.
Intègre, elle sait éviter les manipulations.
Intuitive, elle peut éviter le pire pour elle-même et ceux qui l’accompagnent.
Perfectionniste, elle est aussi championne dans ses activités plaisirs, qui sont aussi des passions : les 3 M (mer, montagne, musique).
Rebelle, elle sait aller à l’encontre des idées reçues.
Tenace, elle sait tenir tête aux plus réfractaires pour arriver à ses fins.
Tout terrain, elle peut survivre en toute circonstance.
Toutes ces qualités lui ont permis un parcours d’exception : celui de première femme reporter de guerre de France, ou d’ailleurs.
Marie-Claude a ainsi couvert toutes les guerres des 3 dernières décennies, de l’Afghanistan au Liban en passant par le Rwanda, la Yougoslavie, et l’Irak ou encore la Somalie, la Russie, le Tchad, la Libye, la Roumanie, l’Iran, l’Algérie, etc… quasi aucun conflit ne lui a échappé.
Rien ne pourrait laisser penser que cette jolie jeune femme châtain clair aux yeux bleu vert, toute menue, aurait pu avoir ce parcours si spécial. Née dans le Béarn, ayant grandi à Paris, Marie-Claude est issue d’une famille d’intellectuels et artistes. Son père, ingénieur chercheur, mais véritable esthète, qui peint, compose de la musique et écrit en hiéroglyphes, lui inculque, ainsi qu’à ses frères et sœurs, le goût de l’excellence. De la fratrie de 5 enfants, son père la décrit, à son image, comme étant la plus « farfelue », celle qui est touche à tout, qui sort de la norme.
Après ses études à Sciences Po et 3 masters de droit, elle était censée devenir avocate. Très vite elle se sent à l’étroit dans ce costume trop classique pour répondre à sa soif d’aventure et de découverte. Elle s’adonne alors avec délectation au métier de journaliste, fait ses enquêtes et couvre les faits divers, seule discipline qui soit à ses yeux l’école du grand reportage. Son talent de dénicheuse de scoops lui permet de traiter des sujets d’intérêt premiers.
Elle commence à RTL, puis entre à France soir qui « cherche de jeunes rebelles ». Pendant près de 24 ans, elle y exerce son métier de grand reporter. Aux médias audio-visuels, elle préfère définitivement la presse écrite, qui lui permet d’exprimer et de raconter avec détails et précision les situations complexes. Le graal du journalisme d’investigation. Elle se prend au jeu, et cela devient comme une drogue. Ne voulant rater aucune guerre, elle ne résiste pas à l’appel du reportage. Elle devient ensuite pigiste pour les grands médias télé qui prennent ses reportages aux 4 coins de la planète. Sa réputation de toujours ramener les bons scoops, et de n’avoir pas froid aux yeux, fait son succès.
En 1979, s’étant fait exploser le genou, deux jours après avoir remporté le premier Championnat du monde de ski des journalistes, et gagné à fond dans le brouillard, des skis que les pros lui règlent pour une descendeuse de 150 kilos, le triple de son poids, elle est contrainte à faire une longue pause dans sa vie trépidante. Elle vient alors à Saint-Barth pour sa convalescence. Elle y reste 15 jours, découvre la beauté du « Caillou », le bonheur de barrer un voilier de course autour des îles, et pleure quand elle repart. Elle y revient 2, puis 3 fois par an et 10 ans après, finit par acheter un terrain en friche à l’Anse des Cayes pour y construire aussitôt son havre où elle aime venir se ressourcer face à la mer. Bercée par le chant des vagues, qui apaise entre deux conflits, c’est alors son lieu de prédilection, avant d’y élire domicile il y a quinze ans.
Comment gérez-vous la peur dans les situations de guerre ?
Dans l’action, quand il s’agit de vie ou de mort, j’ai une sérénité absolue qui m’étonne moi-même, et qui me permet d’être à l’écoute de mon environnement. Par exemple, en pleine brousse du Rwanda, au pays des gorilles et des petits singes, j’ai juste entendu le silence…un silence inhabituel qui a été pour moi synonyme de danger. Et ça nous a sauvés: des combattants étaient en train de nous viser, pour tirer ! On est tellement concentré, et cela va si vite qu’on n’a pas le temps d’être vraiment conscient de la situation, et donc d’avoir peur.
Comment survivre dans les situations extrêmes ?
Ce qui permet de vivre dans ces pays de guerre, ce sont les vivants. Les morts nous sont souvent cachés, surtout en cas de génocide, ou de crimes de guerre. Ceux qui se sont battus pour être encore en vie, sont tellement magnifiques et généreux, alors qu’ils n’ont plus rien, que l’on a forcément envie de les aider. Ce sont des sujets d’espoir.
Je ne me souviens d’avantage du beau, des moments où l’on sauve les survivants, laissant les horreurs aux cauchemars de la nuit, longtemps après. Les survivants permettent d’agir immédiatement, ou de continuer de se battre pour faire connaitre la vérité : celle du terrain, dans l’espoir de faire cesser les massacres.
Le plus bel exemple, c’est l’épouvantable génocide du Rwanda. Après une chasse à l’homme de trois mois, dont il ne restait que 1500 rescapés sur 12000 Tutsis massacrés à coup de machette, j’arrive enfin à trouver toute seule, en déjouant quelques pièges, ces centaines de femmes, enfants et vieillards, cachés dans des trous de la forêt, en ne mangeant que des herbes. Après une vaine tentative de dissuasion, et de désinformation de commandos de choc (que j’avais déjà débusqués en plein désert Iraquien, trois ans plus tôt) : «N’y allez surtout pas. Vous allez vous faire découper en rondelles! »
J’ai bien sûr désobéi, comme il se doit souvent dans mon métier, mais sortis de leur cachette, ces pauvres Tutsis, ravis de me voir comme une « libératrice », étaient sur le point de se faire massacrer. Les super commandos, chargés du Renseignement avant tout, m’avaient évidemment suivie, et après une remontée radio cryptée jusqu’à l’Élysée, les hélicoptères français sont intervenus depuis le Zaïre. Cela nous a permis de faire fuir les Hutus prêts pour un ultime massacre, en haut de la colline, et de sauver ces 1500 survivants sur place, tout en faisant un ballet héliporté pour transporter les blessés graves vers des hôpitaux de campagne à la frontière.
J’ai vu alors pleurer un super commando parachutiste, auquel j’avais signalé un bébé de huit jours en train de mourir. Sa mère sans aucun lait, se nourrissant seulement avec des herbes, avait accouché dans un trou, en mordant un bout de bois, cachée par des branchages, de ses bourreaux au-dessus de sa tête. Le para donne alors un biberon de fortune fabriqué avec un gant en caoutchouc et pleure à chaudes larmes « C’est nous, moi avec, qui avons formé, pendant deux ans sans savoir, ces génocideurs » me dit-il .
Il y a aussi cette fillette de sept ans, le bras droit amputé à la machette, qui part dans le premier hélicoptère des blessés les plus graves. Je la retrouve deux semaines plus tard, dans un hôpital de campagne de l’armée française, à la frontière du Zaïre, où je passe pour tenter d’aller vers l’autre camp, à Kigali, via l’Ouganda. La fillette, en dépit de sa mutilation, est devenue l’infirmière dévouée en blouse blanche de la chambrée des enfants. « Allez réveille-toi, dit-elle en caressant la joue, de son unique bras, d’un enfant de deux ans qui est dans le coma. Maintenant il faut que tu te réveilles ». Moment de grâce d’une guerre fratricide impitoyable!
Celui qui sauve une vie, dit le proverbe, sauve toute l’humanité.
En situation de guerre, quel est le plus compliqué à gérer ?
Dans la guerre, il faut savoir gérer la logistique et faire face à ses besoins vitaux : se procurer l’essence au marché noir, sans se la faire siphonner la nuit, pour pouvoir explorer toutes les zones les plus dures, poursuivre sa mission, trouver de l’eau, avoir de l’électricité quand il y en a, pour recharger des batteries et envoyer son sujet, se procurer de la nourriture quand il n’y en a plus, gérer sa faim, maîtriser ses besoins physiologiques. J’ai appris à bloquer mon système physiologique, dans ces situations extrêmes . C’est très mauvais pour la santé. Mais quand on n’a pas le choix…
Quelle est votre plus belle satisfaction ?
C’est de faire bouger les lignes de la politique intérieure ou internationale, grâce aux reportages. C’est un des buts de mon métier. En politique intérieure, j’ai pu contribuer par mes écrits et interview de personnes concernées, à l’élaboration de la loi sur l’avortement de 1973, puis à l’abolition de la peine de mort en 1981, ou encore permis directement de faire reculer la date de prescription de l’inceste.
Sur la scène internationale, cela a été le cas au Liban avec le massacre des Palestiniens, ou la guerre en Yougoslavie où j’annonçais les massacres à venir, qui malheureusement avaient lieu quand même. Ou encore au Rwanda. Aujourd’hui cela devient plus difficile d’agir contre les horreurs. Le métier a changé. Les gens s’habituent-ils aux massacres ? Non, sauf quand ça dure trop longtemps. Et les politiques bougent trop lentement.
Quelle est la qualité qui est la plus précieuse ?
Ma plus grande qualité pour ce métier c’est mon intuition, elle m’a permis d’éviter plusieurs fois la mort. J’ai entendu le silence dans la brousse du Rwanda, évitant que mon équipage et moi-même nous fassions tirer dessus. J’ai fait faire demi-tour très lentement pour rebrousser chemin. Des reporters de France2, qui venaient de débarquer le jour même avec le premier avion de l’Armée française, et auxquels j’avais déconseillé vivement mais en vain, de poursuivre la route, se sont faits tirer dessus. Bilan : 122 balles dans la voiture et leurs corps, grièvement blessés, sans soins réels pendant une semaine, où ils étaient portés disparus. Mon témoignage de « dernière à les avoir vus vivants », auprès de Benoît Duquesnes, le regretté créateur de «Complément d’enquête» venu spécialement sur place, a permis de les retrouver.
Un autre exemple d’intuition : en navigation sur un superbe voilier, depuis Saint-Barth, en prenant mon quart de nuit à la barre, à soit disant huit heures de l’arrivée sur Cuba, alors que tout le reste de l’équipage sauf un, dormait et pensait être en pleine mer… J’ai répété trois fois: « Je sens la terre ». Évidemment pas d’odeur, juste une intuition.
« Mais non, nous arrivons dans 8 heures », selon le Capitaine, qui fait la nav… Quelques minutes encore à « sentir » dans la nuit noire.
Et bien, selon mon iPhone, c’est le phare de Guantanamo, juste face à nous. On réveille tout l’équipage, il faut empanner d’urgence.
L’armée américaine, qui ne badine pas avec la sécurité de sa base navale enclavée dans Cuba et tant décriée, peut tirer, sans sommation ! Après un appel radio très méfiant, deux Zodiaques avec des marines, dans le viseur de leur grosse mitrailleuse, vont nous suivre pendant des heures.
Comment avez-vous géré d’être une femme dans un environnement hostile ?
La première personne hostile a été le rédacteur en chef qu’il a fallu convaincre de me laisser partir pour ma première guerre.
« Je t’envoie au Liban, mais c’est pas pour les femmes. Tu as quatre jours ! ». J’ai ramené quatre scoops des zones les plus dangereuses, dont une longue interview nocturne d’Arafat, que tout le monde croyait mort depuis 3 mois. Dans son bunker, face aux Syriens qui avaient promis l’assaut final à l’aube. « Et bien, attendons ensemble! » ai-je lancé, déjà un peu kamikaze. Heureusement il n’a pas eu lieu ce jour là. Sinon…Au retour mon rédac chef un peu misogyne, mais fier de moi, a lancé à tous « Marie-Claude notre seul reporter qui a des couilles! ».
Depuis je n’ai raté pratiquement aucune guerre.
Mais j’ai du quand même faire jouer, devant le gouvernement, l’article 1 du préambule de la constitution qui commence par « Nul ne doit être exclu de par son sexe ». Le jour J de l’attaque terrestre en Irak, un colonel qui essayait de gérer la presse, à voulu m’interdire de partir en première ligne avec l’armée française, au nom d’un étonnant document « secret défense » avant que je n’arrive à lui faire avouer « Parce que vous êtes une femme! »
Toujours farouchement rebelle, je me suis battue. Ça a fait un éditorial moqueur à la une du réputé New York Times : « Ha ha…les Français ils ont une seule femme et ils veulent la virer de la première ligne…parce que c’est une femme! Nous on en a plein! »
Et finalement, j’ai été réintégrée en première ligne sur ordre du premier ministre Michel Rocard et de la cellule de crise, mais non sans mal. Il a fallu la pression de la ministre des Droits de la femme, avec qui je m’étais battue contre l’inceste, trois mois auparavant. Heureusement l’attaque terrestre a été repoussée de 24 heures, pour cause de météo, et comme il y avait 6 régiments prétendus de première ligne j’ai proposé au Colonel de tirer à la courte paille. J’ai eu les deux les plus courtes. J’ai choisi les deux régiments de la Légion étrangère, j’en ai donné un au seul journaliste que je ne connaissais pas, mais qui m’avait défendue dans ce combat de société. Et moi, je suis partie avec le 6ème REG, les démineurs de la Légion, ceux qui sont devant, même avant les Américains. Car je voulais voir en premier les combattants irakiens, de pauvres bougres amaigris, sans radio ni vivres depuis longtemps, qui se rendaient les mains en l’air, même à moi. Je voulais raconter la guerre réelle, pas celle d’un rapport de pool, totalement aseptisé.
Le jour de mon retour je suis invitée à Matignon par le premier ministre, qui voulait m’honorer et me féliciter pour la Journée internationale des droits des femmes « Bravo et Merci ! Vous avez fait avancer l’action culturelle au sommet. Même dans un gouvernement de socialistes, j’ai vu que la majorité était misogyne et voulait, vous interdire d’être en première ligne ! »
Quels sont vos meilleurs scoops ?
Ce sont pour moi tous ceux que j’ai accumulés au fil de mes reportages, et de publications quotidiennes, dans un terrain très difficile. Mais pour mes rédacteurs en chef, et l’orgueil du journal, c’est peut-être d’avoir ramené des interviews exclusives et inattendues :
celle de Yasser Arafat que l’on pensait disparu. Parce que j’avais bien pris des risques, dès le premier jour de ma première guerre au Liban, un combattant palestinien m’a proposé : « Vous voulez voir Arafat cette nuit à minuit? »
-Pourquoi, il est vivant? ai-je répondu sans trop y croire.
En Inde, je fais l’interview d’Indira Gandhi, qui présidait le pays et la Conférence des pays non alignés, quelques jours avant son assassinat. Et puis Jean Paul II à Paris, pour son premier voyage de Pape…Il voulait remercier la presse, en montant dans son hélicoptère blanc, et c’est moi qui a été choisie sur 3000 journalistes du monde entier. Peut-être parce que je le suivais « jour et nuit » sur les ordres du patron du journal ! Enfin en Afrique du Sud, où j’étais allée à mes frais en vacances, parce que le journal n’y croyait pas, je rencontre Nelson Mandela à sa sortie de prison, après 27 ans d’incarcération. Il m’a reçue chez lui le lendemain. Un vrai bonheur de voir la disponibilité de tous ces Grands, hommes et femmes.
Quel est votre plus grand combat ?
Un de mes plus grands combats a été de dénoncer l’utilisation d’armes à l’uranium appauvri par les Américains, mais avec la complicité de l’État major français allié, qui n’a rien dit à ses officiers supérieurs, et ses troupes de terrain, dans la guerre du Golfe et dans les Balkans. Mes problèmes de santé, troubles intestinaux, neurologiques et musculaires, en sont la conséquence.
Après juin 2000, je fais le tour des hôpitaux militaires et civils. Résultat : des diagnostics et des examens totalement différents. Il y a une volonté réelle de cacher la vérité. C’est encore plus dur de reconnaître que les armes contiennent des substances aussi dangereuses, pour la santé de ceux qui les utilisent, que pour l’ennemi. J’ai été convoquée pour témoigner devant l’Assemblée Nationale. Mais face à la raison d’État… Malgré tout, j’ai de la chance car je suis encore en vie pour en parler et dénoncer ces pratiques inadmissibles. Dans mon association de victimes françaises, tous des soldats, la moitié sont morts. Chez les GI pas loin.
Et maintenant?
J’ai toujours ma carte de presse mais désormais, je travaille à la demande, et reste ouverte aux propositions qui pourraient arriver.
Je fais des reportages réguliers, photos et textes que je publie sur ma page Facebook. Sur les dernières actualités, j’ai couvert le confinement à Paris, puis sur l’île, et le cyclone Irma à Saint-Barth, à la demande de TF1, essayant toujours de traiter des situations inédites.
Enfin, j’ai du temps pour m’adonner à mes 3M : la mer, la montagne et la musique. à Saint-Barth, je me régale avec la plongée en bouteilles, et la voile. Entre mon statut de journaliste et mon amour de la barre, je peux naviguer partout, même en cas de confinement sévère. J’ai couru 10 fois aux Voiles de Saint-Barth, et navigue dans la caraïbe, d’où je suis partie pour traverser l’Atlantique: un souvenir inoubliable sur Kriss, tout en remportant deux défis.
Mon rêve actuel ? Partir pour l’Ukraine, mais je ne sais pas si mon corps suivra… !
Propos recueillis par C.R