« Des peintures qui ressemblent à des photographies, des photographies qui ressemblent à des peintures… » Contrastés mais complémentaires, ces paysages marins surréalistes sont les créations tangibles d’un duo artistique travaillant en symbiose au bord de l’océan. J’ai eu le plaisir de rencontrer ce couple créatif qui m’en a dit plus sur sa relation unique avec l’environnement naturel de Saint-Barthélemy.
Où a commencé votre vie ?
Ben Reynolds (BR)
J’ai été élevé par des parents britannique et néerlandais au Royaume-Uni. Enfant, j’ai toujours été très créatif, j ’ai peint et fabriqué des objets dès mon plus jeune âge. J’aimais travailler avec mes mains ; c’était ma façon de communiquer avec le monde. Et mon éducation Steiner m’a également encouragé à trouver ma voie par la créativité.
Camillia Langoux (CL)
Je suis d’origine française et j’ai eu la chance de passer mon enfance à Saint-Barthélemy, où ma famille possède une maison depuis le début des années 90. Je me suis toujours sentie très liée à l’île, malgré mon déménagement en Europe à l’âge de six ans.
Quand êtes-vous entrés dans le « monde de l’art » ?
BR : Le destin nous a conduits à l’école d’art de Barcelone en 2004, où nous nous sommes rencontrés en suivant le même cours magistral… Nos chemins nous ont conduit à l’université des arts de Londres, où je me suis spécialisé en peinture sur le campus de Camberwell et où Camillia a étudié la photographie sur le campus de LCC. Chacun de nous a obtenu une licence en beaux-arts.
CL : Depuis l’obtention de notre diplôme, nos œuvres ont été exposées à Londres, Barcelone, Paris, Arles, au Cambodge et ici à Saint-Barthélemy, à la galerie « To B.Art ».
Parlez-nous de votare « collaboration créative ».
BR : Notre travail nous a réunis à de nombreuses reprises, notamment pour la réalisation de vidéos musicales, la conception de pièces de théâtre et la conception de films, notamment « Adnan », qui porte sur un jeune réfugié syrien.
CL : Nous avons également soutenu des projets liés aux enfants et à l’éducation ; c’est ainsi que nous avons créé une association caritative dans le but de concevoir et d’aménager trois bâtiments dans l’East End de Londres, qui seront utilisés comme espaces éducatifs. Parmis nos réalisations communes nous pouvons citer la production de festivals de musique et d’art dans la campagne britannique, ainsi que la fabrication de marionnettes géantes au Cambodge pour une grande parade célébrant le nouvel an chinois.
Qu’est-ce qui a inspiré ce projet à Saint-Barthélemy ?
BR : Ce séjour sur l’île s’est fait plutôt par défaut, en raison de la Covid. En fait, depuis l’obtention de notre diplôme, notre vie a été plutôt basée à Londres, entrecoupée de nos missions à l’étranger. Nous étions en visite sur l’île pour deux ou trois semaines au début de l’année 2020… Mais le monde entier s’est arrêté et nos projets à Londres ont été stoppés net, pour une durée indéfinie. De plus, Camillia était enceinte de notre fille ; nous avons donc décidé de profiter de cette période pour revenir à nos spécialités initiales : la peinture et la photographie.
Nous nous sommes sentis privilégiés d’être sur cette île pendant le confinement, surtout avec la mer à notre porte, qui est devenue le centre de notre univers.
Nous avons commencé à ralentir et à adopter de nouvelles routines qui sont devenues plutôt rituelles : cuisiner, nager, passer du temps en famille avec notre fils de quatre ans…
CL : Cela a developpé en nous la pleine conscience, le processus de remarquer de nouvelles choses de manière active, ce qui vous ramène au moment présent.
L’anxiété de la vie quotidienne peut être un obstacle à la créativité. Nous nous sommes demandé s’il était sain pour l’être humain d’être « disponible » en permanence, via les médias sociaux et le flux constant des cycles d’information. Nous avons décidé de nous déconnecter complètement, de faire l’expérience de la tranquillité que procure la proximité de la nature… de devenir attentifs et présents.
Le biologiste marin Wallace J. Nichols en parle dans son livre « Blue Mind », où il décrit les changements neurologiques, psychologiques et émotionnels que subit notre cerveau lorsque nous sommes proches de l’eau.
Cette interconnexion avec l’environnement est très importante pour nous et notre art ; et nous sommes particulièrement conscients de l’impact que nous avons sur cette terre. Nous nous sommes toujours efforcés – souvent au-delà des moyens pratiques – de récupérer et de réutiliser les matériaux existants dans notre travail.
La fabrication de l’art ou l’art de la fabrication : comment évoluent vos créations ?
BR : Je dirais que mes œuvres sont produites par le biais d’un « processus méditatif » qui implique le contrôle et le lâcher prise, tout en acceptant également les « accidents » imprévus qui conduisent à une autre série de défis avec davantage de résultats possibles. C’est l’optimisme de la résolution qui fait avancer l’œuvre.
Ces œuvres ressemblent en fait davantage à des objets sculpturaux plutôt que peints au sens traditionnel du terme. J’essaie de dissimuler toute trace de coup de pinceau, en appliquant des couches transparentes, en les dissimulant de manière à ce qu’elles semblent flotter organiquement dans un état de flux.
Elles sont sculpturales dans le sens où leur taille, leur éclat et leur luminosité les rendent pratiquement impossibles à photographier. Cela peut-être un inconvénient, mais j’aime cela. Ce ne sont pas des images en tant que telles, elles doivent être vues physiquement, et certainement pas sur un écran de téléphone.
CL : Mon travail est également sculptural, bien qu’il s’agisse de photographie ; une approche idiosyncratique par rapport à l’idée traditionnelle de ce qu’est une photographie ou, plus précisément, de ce qu’est une image photographique.
Ces œuvres pourraient être classées dans la catégorie de l’art paysager, tout en défiant ce genre et le médium en se réappropriant des matériaux tels que la boue, le sable, le limon et le goudron… en se laissant aller et en jouant avec des éléments qui ressemblent au gel, à la neige et au feu.
À l’ère des instantanés produits en masse et de l’imagerie numérique, j’ai vraiment voulu revenir à l’essentiel : mon manque de matériel était en fait une bénédiction. Je voulais créer des photographies uniques, artisanales et tangibles. J’étais fascinée par la photographie sans appareil, et plus particulièrement par les cyanotypes, car ils permettent à une pensée abstraite de devenir une réalité concrète communicable…
Quelque chose qui n’a jamais vraiment existé, mais qui apparaît sous forme de fragments, de souvenirs ou de rêves.
Cela m’a permis de renouer avec ce qui a initialement inspiré mon amour de la photographie.
Les images sont créées par la projection d’ombres sur une surface sensible à la lumière – une toile, un papier ou un bois badigeonné d’une émulsion photographique. Les éléments spécifiques utilisés dans ce processus laissent des impressions physiques par contact direct avec les matériaux photographiques.
Submerger l’œuvre dans son environnement immédiat, en l’occurrence l’océan, la soumettre au mouvement rythmique des vagues, la laisser évoluer au hasard, tout en embrassant les textures naturelles… C’est essentiellement tenter de maîtriser l’éphémère.
Ces pièces semblent être des peintures à première vue, mais en regardant de plus près, des traces complexes de sable, de sargasses, de sédiments sont révélées. Une fraction d’un moment capturé sous forme d ’image.
Le « Seascape Show » – quand tout cela sera-t-il révélé ?
BR : Nous avons une exposition depuis le 1er juillet, avec une sélection de ces œuvres. Elle se tient à la galerie Fergus McCaffrey de Valentine De Badereau à Grand Fond… Et nous espérons y voir tout le monde !
Propos recueillis par Rachel Barrett-Trangmar