Les sargasses ont atteint aussi les côtes de Saint-Barthélemy. Et Pierre-Antoine Guibout nous explique la genèse et le développement de son idée ingénieuse pour transformer et utiliser cette algue nocive
Pouvez-vous nous décrire votre parcours ?
Rien ne me prédisposait à me lancer dans ce projet sur les sargasses. Je suis juriste financier de formation et j’ai fait mes gammes professionnelles dans le milieu bancaire à Paris. Mais breton d’origine, Paris n’était pas vraiment fait pour moi et lorsqu’une opportunité de venir travailler à Saint-Barth s’est offerte, je l’ai bien entendu saisie !
De nature très curieuse, je m’intéresse à beaucoup de choses, et déjà très jeune l’entreprenariat m’attirait. Je me souviens encore quand je suis allé au premier salon de l’entreprenariat à Paris à 17 ans, j’étais parmi les plus jeunes. J’ai d’ailleurs monté à l’époque ma première société « Rent your boat» location de bateaux de propriétaires dont le concept a été repris par l’entreprise bien connue aujourd’hui «Click your boat». Le bateau fait parti de mes passions, donc à SaintBarth je suis au paradis !
Comment vous êtes-vous intéressé aux sargasses ?
Depuis près de 8 ans, j’ai pu constater l’évolution grandissante et envahissante des algues sargasses, à Saint-Barth bien sûr mais également dans les îles voisines. Tombé véritablement amoureux de cette île, je ne voulais plus la voir envahie par cette algue… Je me suis persuadé que l’on pouvait en faire quelque chose, malgré toute la nocivité qu’on lui connaît (métaux lourds, H2S…).
Fin d’année 2018, j’ai acheté une marque de cirage et produits d’entretien très connue en France dans les années 60 « CYGNE NOIR» que je voulais remettre au goût sur un marché luxueux et écoresponsable. J’ai eu l’idée de réduire en poudre cette algue pour l’intégrer dans notre formule, intéressé par l’aspect brillant et un peu plastifié de cette algue.
Le laboratoire avec qui nous travaillions à l’époque nous a malheureusement indiqué que cela n’était pas possible … cela faisait comme l’huile et le vinaigre et ne se mélangeait pas … Très déçu, j’ai eu l’idée d’utiliser cette algue (je ne voulais rien lâcher) pour en faire le packaging de nos produits ! Je me suis renseigné auprès d’initiative régionale et personne n’était capable de me faire parvenir du papier d’emballage 100% sargasse : Sargasse Project est né à cet instant !
Quelle solution avez-vous trouvé ?
Je me suis donc longuement documenté sur cette algue, et je suis allé chercher mes premières algues à Anse des Cayes, et une fois ramenées à la maison, j’ai commencé à faire ma tambouille au grand désarroi de ma femme… la cuisine était dans un sale état… (je me suis depuis délocalisé sur la terrasse). Je suis arrivé à faire pour mon premier essai une pâte 100% sargasse capable de réaliser une première feuille suffisamment solide et flexible pour que je me dise qu’il y avait véritablement quelque chose à faire ! J’ai donc amélioré le process de fabrication de cette pâte pour arriver à faire une feuille quasi parfaite. Je lui ai donné une première utilité : un sac, celui que beaucoup de monde a pu voir sur les réseaux sociaux. Le projet a vraiment décollé à partir de cet instant.
Où en est le déploiement de votre solution ?
Depuis il y a eu nombreux partenariats noués, de fidèles donateurs que je tiens à remercier ici, une communication positive énorme, deux prix, celui de l’innovation outre-mer 2019 reçu à station F à Paris et le Prix du public et jury au Summit ChangeNow 2020 au grand Palais à Paris dernièrement, où d’ailleurs je me suis rendu vraiment compte qu’il y avait réellement une envie de consommer autrement au travers des 1000 solutions innovantes présentées ! Et ça, ça fait plaisir !
Avec tous ces soutiens, le projet avance bien. Après avoir la satisfaction de savoir que notre pâte est composée au minium de 60% de cellulose la faisant rentrer dans la catégorie de la pâte à papier / carton classique, nous tentons actuellement de valider le contact alimentaire de notre pâte qui permettrait des débouchés énormes. Nous nous plaçons dans un business BtoB, et des industriels nous ont déjà fait connaître leur grand intérêt pour ce nouveau biomatériau ou algo-sourcé. Et n’oubliez pas : l’avenir est entre nos mains