Journaliste, photographe, cinéaste, Pierre Brouwers sillonne le globe depuis 1970, animé par la double passion du voyage et du cinéma de reportage. Il n’a jamais cessé de partager ses découvertes et ses expériences avec le public par ses reportages photographiques et films documentaires diffusés dans le monde entier. Avec plus de 200 films de 52 minutes et d’innombrables courts-métrages, 130 pays visités, Pierre permet au spectateur de mieux connaître les cultures et les modes de vie, de découvrir un monde qui ne soit pas celui des cartes postales ou des idées préconçues. Le monde qu’il nous montre est celui des réalités géographiques, économiques et humaines, vues à travers son œil aiguisé qui fait sa signature si particulière. Ses reportages nous offrent autantd’occasions de rêver, de préparer un voyage, de s’informer ou encore de se former.
Pierre nous raconte son parcours exceptionnel, où tout semble s’enchaîner naturellement, comme un long fleuve qui ne dévie pas de son cours. Une vraie inspiration, empreinte de conviction et détermination sans faille pour rester au plus proche de ce qui l’anime.
Pouvez-vous nous raconter votre histoire ?
J’ai eu un parcours hors normes car j’ai réussi à faire ce que je voulais et à vivre de ma passion : faire des reportages et des films documentaires liés au voyage.
Je suis né à Liège, issu d’un milieu modeste. Je n’avais qu’une envie : partir, m’affranchir des frontières, découvrir le monde. Je ressentais une véritable claustrophobie, à l’étroit dans un petit pays à l’époque où les frontières étaient encore bien réelles.
J’éprouvais une envie irrésistible de voyager et de ramener des images des pays et des populations que je voulais connaître. Déjà très jeune, j’aimais faire des photos. Je faisais de l’auto-stop à travers l’Europe avec mon appareil photo. J’avais découvert le journalisme et l’actualité internationale me passionnait.
J’ai trouvé une école de journalisme qui me convenait car elle était orientée vers les médias et, très vite, je me suis initié au cinéma et à la vidéo. Parallèlement à mes études, je ramenais de mes voyages photos et films, que je projetais sous forme de conférences audiovisuelles, ce qui me permettait de financer d’autres voyages.
Après mes études, je travaille pour un magazine franco-belge dont chaque numéro est consacré à un pays différent. J’y débute comme maquettiste et je suis très vite nommé rédacteur en chef à 26 ans. Avec un statut d’indépendant, j’assure la rédaction en chef tout en continuant mes reportages. En parallèle, je réalise mes premiers films et les propose au cinéma par l’intermédiaire d’un producteur que j’ai eu la chance de rencontrer.
Quel a été le voyage qui vous a le plus marqué ?
Lorsque j’avais 18 ans, avec deux copains qui avaient autant que moi l’envie de découvrir le monde, j’ai lancé le projet d’une expédition en Inde et au Népal par la route. C’était l’époque des raids automobiles vers Persépolis, l’Afrique et autres régions exotiques. C’était aussi l’époque des hippies et du film « Les chemins de Katmandou » d’André Cayatte, avec Jane Birkin et Serge Gainsbourg. L’Inde faisait rêver et il était possible alors de s’y rendre par la route.
L’idée était de construire un véhicule tout terrain original avec un ami mécanicien, en faire parler dans la presse afin de financer l’expédition avec l’aide de sponsors, de rallier le Népal avec ce véhicule, et de ramener de ce voyage un film et des reportages.
Tout s’est passé à peu près comme prévu jusqu’au moment du départ, où nous nous sommes rendu compte des énormes défauts du véhicule. Après d’innombrables pannes et autres mésaventures, nous avons tout de même réussi à atteindre Téhéran avec le véhicule puis, découragés par les problèmes techniques et à court d’argent, nous avons continué note itinéraire en bus et en en train, comme le faisaient les jeunes hippies de l’époque. Nous n’avons pas atteint le Népal, mais comme je voulais à tout prix découvrir l’Inde et voir un monument mythique dont je rêvais depuis des années, j’ai fini par atteindre Agra, où j’ai pu admirer le Taj Mahal.
Nous avons récupéré le véhicule au retour et l’avons ramené en Europe, après une myriade de nouvelles mésaventures. C’est au cours de ce voyage que j’ai appris à me débrouiller partout, à survivre sans argent quelles que soient les circonstances, et surtout à connaître et reconnaître les gens. J’ai compris que les peuples étaient les mêmes partout et que ce qui les différenciait était avant tout une question de culture, de coutumes, et de niveau de vie. Voyager est le meilleur vaccin contre le racisme.
Ayant connu très jeune, lors de la préparation de cette expédition et surtout lors du voyage, d’innombrables situations compliquées, dangereuses, voire catastrophiques, j’ai toujours relativisé les épisodes compliqués que j’ai pu connaître par la suite au cours de ma carrière.
De ce voyage, j’ai réalisé mon premier reportage audiovisuel de 90 minutes : « 25.000 kilomètres sur les chemins de Katmandou ».
Qu’est ce qui a permis à votre activité de véritablement décoller ?
Je me suis installé à Paris à la fin des années 1970 afin d’être au plus près des moyens de diffusion de films de l’époque, mais les télévisions – qui se comptaient sur les doigts d’une main – s’intéressaient peu au documentaire. J’ai eu alors l’idée de faire sponsoriser mes réalisations par les tours opérators et le milieu du tourisme et de me créer un réseau de diffusion de conférences-spectacles audiovisuels, essentiel pour le développement de mon activité. La diffusion est la clé de la réussite, car dès que l’on réussit à toucher un large public, les sponsors suivent.
Mes réalisations ont ainsi rencontré un vif succès.
Plus tard, grâce à mes séances de projection, je rencontre la nouvelle directrice des Guides Bleus chez Hachette qui recherchait une idée pour dépoussiérer les vénérables guides. Je lui propose alors de créer une collection de vidéo guides avec mes films et c’est ainsi que naissent les Vidéos Guides Hachette en 1987, sous la forme d’une de cassettes VHS complétées d’un mini-guide imprimé. C’est un véritable succès dans les pays francophones et la société que j’ai créée les produit et les exporte à l’étranger.
A partir de 1994, les chaînes TV sur la thématiques du voyage se multiplient. Planète, Ushuaia, Voyage, Canal Evasion, et bien d’autres se font concurrence sur le créneau de la découverte. Avec une collection de plus de 40 films, je crée alors un partenariat avec la chaîne Voyage et la Cinquième (le premier nom de France 5) pour leur fournir du contenu.
En produisant 10 à 12 films nouveaux par an, des rééditions, des films institutionnels pour le milieu du tourisme, je développe ma structure pour répondre aux demandes croissantes des chaînes TV. Mais, très vite, je me retrouve à faire surtout beaucoup de gestion, et trop peu de réalisation.
Désireux de me consacrer à ce qui m’anime, à savoir tourner, je cède ma collection vidéo à TF1 Vidéo, qui en fait les DVD Guides et, dès le début des années 2000, je recommence à donner priorité à la réalisation, allégé des tâches administratives d’une grosse structure. Je retourne enfin à ma passion : l’image.
Quelle est votre histoire avec Saint-Barth ?
En 1988, je filme les Antilles françaises pour un nouveau Vidéo Guide Hachette, et c’est ainsi que je découvre l’île.
Dès le premier contact, je suis fasciné par cette petite île que je trouve à la fois charmante, spectaculaire et photogénique. J’y passe quarante-huit heures, me déplaçant en minimoke. J’adorais les petites routes, les maisons de poupée, la piste d’atterrissage. Je me sentais en-dehors du monde.
Plus tard, je réalise un film sur la Guadeloupe et ses dépendances, ce qui me ramène à Saint-Barth, puis d’autres films sur les Caraïbes avec toujours une escale sur mon île préférée.
En 2002, l’Association des hôteliers me propose de faire un film uniquement consacré à Saint-Barth. Ce sera pour moi l’occasion d’apprendre à vraiment connaître l’île et d’y nouer des relations durables avec de nombreux habitants. La sortie du film – Saint-Barthélemy, cap Paradis – sera accueillie sur l’île avec beaucoup de satisfaction car, contrairement à certaines émissions TV, j’avais pu sortir des éternels clichés comme « l’île des milliardaires » pour montrer la vie réelle des Saint-Barths, avec leurs traditions et les différentes facettes de l’existence, pas toujours facile, sur un si petit territoire.
A cette époque, j’achète une ancienne villa sur l’île et décide d’y passer autant de temps que possible entre mes voyages et les obligations liées à ma société de production parisienne.
En 2012, je réalise un nouveau film sur l’île : « La Belle et l’avion ». Nouveau succès, nouveaux contacts. L’aviation ayant toujours été une autre passion pour moi, je réalise ensuite le film « Les pionniers de l’aviation dans les Caraïbes » dont Saint-Barth est les fil conducteur.
Saint-Barthélemy reste, aujourd’hui encore, mon île préférée, avec ses nombreux atouts : beauté, culture, confort des hôtels, sport, sécurité, gens intéressants…
Comment caractérisez-vous votre unicité ?
En reportage, en photo comme en film, je vois le sujet, je le cadre, je le capte. Ma manière de voir le réel est stritement personnelle. Chaque plan, chaque photo est unique. Il faut s’adapter au sujet et non vouloir l’inverse. Dans certains cas, il faut être rapide. Dans d’autres, il faut prendre le temps. Comme Cartier-Bresson, il faut savoir capter la fraction de seconde ou le geste est représentatif, où la conjonction des éléments qui font le décor est la meilleure, la plus représentative d’une situation ou du message que l’on veut faire passer. Tous les ingrédients d’une bonne photo ou d’un plan réussi sont dans le réel, mais le réel est fugace. Je ne fais jamais de mise en scène, je n’interfère jamais avec la réalité. C’est pour cela que je préfère rester derrière la caméra.
Avec l’évolution technologique, les caméras se sont allégées et sophistiquées. La technique évolue, mais le fond de mes reportages reste le même, avec le même rythme soutenu du montage et du commentaire.
Je réalise le plan de tournage avec une équipe qui connaît bien la destination et organise les rencontres. Le but de mes films Découvrir le Monde est de dresser le portrait d’une destination avec comme fil conducteur la géographie. Le mode de vie, les traditions, l’économie sont autant d’éléments incontournables. Le plan de tournage permet de ne pas oublier les sujets principaux, mais une partie importante du film est toujours faite de rencontres, de fêtes, de situations qu’il n’est pas possible d’anticiper. En tournage, il faut être constamment à l’affût et ouvert à toutes les opportunités.
Pouvez-vous nous parler de quelques-uns de vos pays ou régions préférés ?
Difficile de sélectionner, car toutes les régions du monde ont leur intérêt et peuvent être fascinantes.
L’Europe est le continent de mes premiers voyages, que j’ai commencé à sillonner à quinze ans en auto-stop. J’étais frappé par les frontières si nombreuses et si proches les unes des autres. Aujourd’hui l’Europe reste une mosaïque de pays et de cultures dont les différences restent bien marquées. Le continent européen est d’une densité unique du point de vue de l’histoire et des richesses culturelles. L’ouverture de l’Est suscite toujours en moi l’envie de filmer ces contrées qui étaient naguère figées dans un système peu propice au changement, et qui évoluent aujourd’hui à une allure parfois difficile à maîtriser.
En Afrique, filmer la Namibie a été une révélation. Je n’imaginais pas qu’un pays puisse réunir à lui seul toutes les facettes les plus séduisantes de l’Afrique. Richesse du sous-sol, diversité géographique inouïe, faune sauvage exceptionnelle et surtout une population à la gentillesse innée. Ce tournage a été l’un des plus intéressants que j’ai connus. Les îles qui entourent l’Afrique sont toutes dotées d’une personnalité différente, comme le Cap Vert. Mais la plus grande et aussi, pour moi, la plus attachante, c’est Madagascar.
L’Asie est le continent qui m’a toujours fasciné plus que les autres. C’est celui ou j’ai réalisé mes premiers grands voyages et notamment mon voyage initiatique vers l’Inde par la route.
Puis, il y a eu mon périple en Asie du Sud-Est en 1976. Je connais le Japon depuis la réalisation de mon film « Tokyo, planète Edo », l’un des plus compliqués mais aussi l’un des plus réussis de ma collection. Le Japon est un autre monde, un monde dont j’aimerais faire partie dans une autre vie.
La découverte des Emirats m’a permis de découvrir Dubaï, Abu Dhabi, ou le Qatar avant et après le développement frénétique qu’ils connaissent.
Au-delà de l’Asie, j’ai découvert l’Océanie et le Pacifique Sud, avec l’Australie, puis la Nouvelle-Calédonie, un territoire français exceptionnel : terre rouges, lagon magnifique, scènes de Far West, modes de vie différents. Chaque fois que j’y suis allé, j’ai eu envie de rester.
Quant au continent américain, la diversité des pays et des peuples est incroyable : New York reste évidemment unique. Pour moi, c’est la ville la plus photogénique qui soit. Lorsque je suis à New York, j’ai toujours un appareil photo ou une caméra à portée de main, car il y a en permanence de nouvelles images à capter. Avec les Etats comme le Nevada, l’Utah, l’Arizona et la Californie, l’Ouest américain est pour moi la région la plus spectaculaire du monde où ma passion de l’image peut s’exprimer à tout instant. L’Argentine et le Nicaragua sont aussi des pays exceptionnels.
Quels sont vos projets ?
Heureusement, il y a encore beauoup de destinations que je n’ai pas encore eu l’occasion de couvrir. Je projette de réaliser des films sur l’Alaska, sur les routes spectaculaires de l’Ouest américain, et sur les Açores… Mais surtout je veux continuer à faire ce que j’aime : rencontrer les gens, découvrir de nouvelles cultures et filmer pour partager mes découvertes et témoigner.
J‘aspire aussi à continuer la série TV que j’ai créé avec mon fils Arthur : « Arthur Autour du Monde ». Après le succès de la première série d’une quarantaine de courts-métrages Arthur à New York, nous avons réalisé plus de soixante autres films, dont cinq Arthur à Saint-Barth.
Avec Arthur, nous avons aussi réalisé pour la Collectivité un album de type BD sur le passé de Saint-Barth. Arthur y explique, grâce à ses rencontres, la manière dont vivaient les parents et grands-parents des enfants d’aujourd’hui. Ce fut une expérience formidable faites de rencontres et de découvertes. Arthur a présenté son album dans toutes les écoles de l’île.
Arthur m’accompagne partout et aujourd’hui, à 11 ans, il a son propre regard sur le monde. Il adore la photo, réalise ses propres vidéos et semble animé, lui aussi, par la passion de l’image. Je suis avec bonheur son évolution.